Le Président Medvedev et le patron du Fonds Vekselberg au lancement du projet Skolkovo. Crédits photo : RIA Novosti/Dmitry Astakhov

 

Objectif affiché : devenir la locomotive de l’économie russe. Rome ne s’est pas faite en un jour, et les moyens engagés devront correspondre aux ambitions.

Le projet de la « Silicon Valley » russe est de créer au sein de la technopole des centres de re­cherche et d’attirer les grosses sociétés internationales dès le stade préliminaire d’un projet.

Roman Romanovski, directeur du département des partenaires clés de la Fondation Skolkovo, explique : « Notre objectif premier est la création d’un espace et de conditions optimales pour interagir. Skolkovo ne s’inté­resse pas exclusivement aux jeunes pousses. Mais ne se limite pas non plus aux projets de grandes entreprises Nous voulons assurer au sein de Skolkovo un flux continu d’idées novatrices, pour que chacun y trouve son compte. Les grosses entreprises, trouveront leurs jeunes spécialistes, les start-ups, leurs investisseurs, les investisseurs, de nouveaux projets intéressants, etc ».

Cette approche a porté ses fruits : plusieurs sociétés de renommée internationale ont évoqué leur intention d’ouvrir des centres de recherche à Skolkovo. La plupart se sont limitées, pour le moment, à des mémorandums d’entente mais des accords ont également été signés.

 

La présentation du plan-masse. Les bâtiments du technoparc de Skolkovo s’étendront sur environ 145 000 mètres carrés. Crédits photo : RIA Novosti/Ilya Pitalev


Les Allemands attentifs

Avec Siemens, par exemple. Le contrat prévoit un développement échelonné et compte, vers 2015, employer environ 150 personnes. Certains projets seront financés exclusivement par la société allemande. Le montant total des investissements s’élèvera à 60 millions d’euros. Siemens fournira 40 millions, les 20 millions restants proviendront de la Fondation Skolkovo.

Alexandre Averianov, respon­sable chez Siemens du projet Skolkovo, précise : « La technopole nous intéresse particulièrement car elle risque d’avoir une sérieuse influence sur l’avenir de la Russie. Ce n’est pas par hasard que le PDG de Siemens AG, Peter Löscher, fait partie du Conseil d’administration de la Fondation Skolkovo. La coopération scientifique touche à plusieurs domaines, dont la médecine nucléaire » . Bien que les détails du projet ne soient pas dévoilés, il sera sûrement question de la détection radio-isotopique, Siemens étant le principal fabricant de matériel pour cette méthode d’investigation médicale. Une bourse de plus de 3 millions d’euros a déjà été accordée pour ce projet.

  

L’expérience finlandaise

En chiffres

29 milliards d’euros ont été investis par l’État russe dans les différents projets d’innovation au cours de l’année 2011, d’après Olga Ouskova, la présidente du NAIRIT.

23% des projets d’innovations sont le fait de jeunes. 9% des diplômés russes veulent devenir chercheurs.

28% des projets sont liés à l’efficacité énergétique, 26% concernent le domaine de médecine, 22% vont aux technologies de l’information, 5% portent sur les technologies de télécommunication et spatiales, 4% sur le nucléaire et 13% sur le reste.

Avec Nokia, le contrat s’est axé sur la création et la commercialisation de nouvelles applications pour téléphones portables. « Nous avons signé avec Vekselberg un protocole d’accord précisant les étapes du développement du ­centre de recherche, affirme Tatiana Oberemova. Ce centre sera chargé du développement des systèmes d’exploitation mobiles et de l’utilisation des nanotechnologies. Les investissements de Nokia se chiffrent en dizaines de millions d’euros, budget standard pour les centres de recherche et innovation de Nokia ».

Dès le début, un rythme stakhanoviste était prévu : le permis de construire signé en juin 2011, le centre devait être prêt pour décembre. Trop court peut-être, mais cela donne une idée du rythme attendu de la coopération entre la technopole et le géant finlandais. Première étape : définir la politique de recherche. Il sera sûrement question de nouveaux systèmes sensitifs pour les principales plateformes Nokia et de l’application des nanotechnologies pour des appareils destinés à la grande consommation. La seconde étape consistera à ouvrir les laboratoires de re­cherche, puis viendra l’étape de réalisation, avec d’importants projets internationaux et leur commercialisation.

 
Les voisins Suédois

Pour Ericsson, Skolkovo est une excellente plateforme pour les travaux de recherche dans le domaine des télécommunications, comme l’informatique en nuage (cloud computing) et la télématique. Mais en tout premier lieu, les travaux porteront essentiellement sur les réseaux intelligents, dans le but de faire d’importantes économies d’énergie. En effet, installés chez l’utilisateur, des compteurs évolués identifieront en temps réel la consommation d’un foyer et transmettront cette information au gestion­naire, ce qui permettra un contrôle accru de la consommation.

Mikhaïl Podoprygalov, vice-président d’Ericsson pour la coopération avec le gouvernement, affirme : « Cela fait longtemps qu’il est question de développer une économie qui ne serait pas basée sur l’exportation de matières premières. Skolkovo est justement la pierre angulaire qui devra permettre d’atteindre cet objectif, un véritable écosystème. Bien sûr, beaucoup diront qu’il aurait fallu s’y prendre autrement. Mais il faut bien comprendre que, compte tenu des objectifs visés, et des paramètres à mettre en œuvre pour les réaliser, il est difficile au stade actuel de déterminer la réussite ou l’échec du projet » .

« Et c’est bien là le problème majeur , rejoint Podoprygalov, l’analyste financier de RosBusinessConsulting (RBC), Timofeï Chatskikh. Tant qu’un premier projet abouti ne verra pas le jour, les Russes, d’autant plus les investisseurs, considéreront la technopole comme une utopie gouvernementale de plus.

La plupart ne voient pas en Skolkovo un projet scientifique mais plutôt une démarche politique visant à donner une image positive de l’État. Et même la coopération avec différentes compagnies internationales de renommée ne suffit pas à les faire changer d’avis. Et il en sera ainsi tant qu’un projet scientifique né entre les murs de la technopole ne sera pas présenté. Toutefois, la création de ces centres de recherche, englobant tous les ­cycles, de la phase préliminaire à la réalisation, va arranger la situation en promettant d’assurer au moins un flux continu d’idées novatrices ».

 

EADS sera présent à Skolkovo

Le directeur technique d’EADS, Jean Botti, et le président exécutif de la Fondation Skolkovo, Viktor Vekselberg, ont signé un accord de collaboration définissant la ¬mise en œuvre, d’ici à la fin de l’année prochaine, d’une unité de recherche de la société européenne aéronatique et spatiale à Skolkovo. Signé en juin dans le cadre du salon Paris Airshow 2011, l’accord porte sur un centre de recherche et de développement au programme duquel figureront les défis industriels et technologiques d’Airbus, Eurocopter, Astrium et Cassidian, toutes filiales du groupe. La collaboration concerne les systèmes de communication, les d¬rones, les moteurs de pointe et le traitement de l’énergie. EADS va également lancer un appel aux étudiants et aux chercheurs de Skolkovo pour qu’ils participent à l’activité de recherche menée par le groupe européen.

 

Enjeu : la transformation de la culture entrepreneuriale

Steven Geiger est Directeur opérationnel de la Fondation Skolkovo.

 

On me demande souvent de résumer la mission fondamen­tale de Skolkovo. Cela tient en trois mots : changer la culture. Skolkovo modifie la culture universitaire russe par la construction d’un nouvel institut scientifique, en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology. Nous pensons qu’il s’agit du premier institut du genre au monde intégrant enseignement, re­cherche, innovation et entrepreneuriat.

Skolkovo modifie la culture d’entreprise. Nous expliquons aux grandes sociétés russes la valeur des contrats de recherche dans ce nouvel institut, comment réaliser une interface et un partenariat avec la communauté du capital-risque, et comment embrasser l’innovation en tant qu’élément central du succès, voire de la survie.

Skolkovo transforme la culture entrepreneuriale. On peut aisément oublier qu’il y a peu, l’entreprise privée en Russie était soit illégale, soit fortement déconseillée. Il faudra du temps pour surmonter cet héritage et laisser l’esprit foncièrement créatif des Russes s’épanouir. Skol­kovo se veut être un accélérateur de cette transformation. En offrant un soutien, un financement et des préférences pour les start-ups, nous espérons niveler un peu le terrain en faveur d’acteurs plus modestes. Notre rôle est également de fournir un « soutien moral » aux jeunes entrepreneurs dynamiques.

Enfin, nous avons pour objectif clair de transformer la compréhension culturelle de la création de richesse.

La Russie est un pays qui a longtemps été dominé par la production physique : pétrole, gaz, métaux, bois, etc. La focalisation exclusive sur la production matérielle a dominé à l’époque soviétique avec ses fameux plans quinquennaux. Logiquement, la plupart des Russes considèrent la création de richesse en termes physiques.

Mais pour que la Russie rivalise dans l’économie mondiale, il faut passer à la vitesse supérieure, et Skolkovo est une nouvelle transmission. Nous nous y efforçons en mettant en valeur la propriété intellectuelle.

Notre tâche est de créer des mécanismes efficaces pour appliquer la puissance scientifique et intellectuelle de la Russie à des produits basés sur la connaissance et à des services compétitifs sur le marché mondial.

Changer une culture et une mentalité  est extrêmement difficile. Le côté positif, cependant, est que si vous réussissez, votre impact sera significatif. Les grands pays sont comme de gros na­vires : ils ne tournent pas à 90°. Mais faites-les pivoter ne serait-ce que de quelques degrés dans la bonne direction, et vous leur aurez fait changer de cap.

Skolkovo jouit d’un certain ­nombre d’atouts à cet égard. Le premier, c’est la richesse de ses ressources scientifiques et tech­niques. Par contraste, mon affectation précédente consistait à construire une ville d’innovation similaire pour le petit émirat d’Abu Dhabi, qui ne compte que 400 000 citoyens et est pratiquement dépourvu de res­sources scientifiques.

Deuxièmement, nous avons appris des autres. En prenant le départ plus tard, la Russie a l’avantage de sa maturité.

Troisièmement, et en rupture avec la tradition russe, Skolkovo est une plateforme entièrement ouverte à la coopération mondiale en recherche et développement. Les cités des ­sciences fermées du passé ont atteint leur but, mais la vitesse et l’échelle de l’interconnectivité mondiale exigent ouverture et collaboration. Le monde n’est peut être pas plat, mais il est sans aucun doute de plus en plus allongé.

Alors, pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? Je pourrais vous donner de multiples raisons, mais c’est peut-être Steve Jobs qui a le mieux formulé la réponse : « Ce monde appartient aux fous. Parce que les gens qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde sont généralement ceux qui le font ».